Chez les Pygmées de Centrafrique

Par Rached Trimèche

(Bangui. Octobre 2011). Le calvaire du voyageur n’est pas la recherche du meilleur vol d’avion, d’un hôtel, d’un circuit, d’une disponibilité ou du taux du dollar ou de l’euro, mais l’obtention d’un « sésame ouvre-toi », d’un Visa pour aller découvrir le pays de son choix !

Qu’il est loin ce temps où j’ai dévalé la Cordillère des Andes pouce au vent en passant par l’immense Amazonie et Terra del Fuogo pour retrouver le Mexique de mes 20 ans. 24 pays visités en autostop avec un maximum de 3 visas. En 2011, pour refaire ces 24 pays d’Amérique latine on a besoin de 22 visas ! Mais pire encore, si en citoyen non espace Schengen ou USA/Canada, vous souhaitez visiter par exemple un DOM français, la Martinique par exemple, vous devez vous armer de patience et prier le Père Noël pour vous accorder d’abord un visa Schengen (loin d’être évident…) et ensuite un second visa dit DOM/TOM.

Bref, en ce mois de septembre 2011 ce sont les pygmées d’Afrique centrale et les gorilles au dos argentés qui me tentent. Des semaines pour trouver les vols adéquats, les plus « cools », via le Maroc et un départ sans visa encore ….

C’était à Gammarth, à une réception d’Ambassade. On me présente, face à la baie de Carthage, Grégoire Willybiro, un élégant cadre de la banque Bad, champagne en main. Quand j’appris qu’il venait de la Centrafrique, j’ai failli avaler mon verre…. Un pays que j’essaye de visiter en vain depuis dix ans au moins. Très enclavé, éloigné et visa disponible seulement sur Paris par exemple, avec 3 jours d’attente… La grande surprise ce soir, c’est que Le propre frère de Grégoire Willybiro, n’est autre que l’ambassadeur de Centrafrique à Paris…. Je n’en reviens pas face à tant de facilités !

Les programmes se suivent et ne se ressemblent pas

Un mois plus tard, en 2010, je pars finalement au Costa Rica et non en RCA… Ce n’est que reporté et nous voilà déjà en septembre 2011 avec l’irrésistible envie d’aller cette fois au pays du dit anthropophage Bokassa et des Pygmées de la forêt équatoriale… Dans ma petite mémoire je retrouvais deux noms, celui Madame Ko (Ollé !) et de l’Ambassadeur Willybiro de Paris.

L’ambassadeur n’est hélas plus en poste. Puis 15 jours de téléphone de Tunis butent face au « 00236 » indicatif de la Centrafrique. Double échec. Comme plusieurs pays aux généreuses lignes roses, la RCA, ce pays est « fermé » par Tunisie Telecom, pour « veiller à la moralité des enfants » qui auraient ruinés leur père en téléphonant si loin sans le savoir.

L’astuce est simple : le téléphone cellulaire (non censuré) pour appeler enfin Madame Ko!

Finalement, j’avais enfin une réservation verbale au Central Hôtel de Bangui par Madame Ko et aucun visa, ni trace de l’ombre d’un visa. A la guerre comme à la guerre je prends le risque d’aller vers ce pays fermé au tourisme et peut-être au monde, au risque de me faire refouler….malgré tous mes papiers !

C’est l’heure. A Casablanca, Je passe sans encombre le premier sas de Royal Air Maroc qui ne demande pas à voir mon visa pour la République centrafricaine…

Commence le suspens. Commence le Voyage. Commence alors l’aventure !

Une fois à bord du vol Royal Air Maroc Casa/Bangui, au lieu d’être enfin heureux et rassuré d’être à deux doigts du but espéré, départ vers les Gorilles à dos argenté de la Centrafrique, ma mémoire, cette coquine, me joue de vilains tours de yoyo !

C’était il y a douze ans à la frontière terrestre entre le Benin et le Togo, à midi, sous 40°C à… l’ombre. Un douanier au regard vitreux décide de me refouler et prétend ne pas pouvoir me délivrer de visa d’entrée au Togo à cette frontière. Retour à la ville et faute d’Ambassade du Togo, c’est l’ambassade du « ColonisateurEternelCommun : la France » qui me donna un laisser passer pour entrer au Togo. Deux jours de course folle…

Pour retrouver ma bonne humeur, en plein vol RAM, je repensais à ma chambre 136 quittée à l’aube ce matin, à l’hôtel Manzah à Tanger…. La suite même de Sir Churchill …. Une page d’histoire on life et une sacrée soirée avec une voisine en fête qui me kidnappa sur sa terrasse…Sacrée soirée …avec une dizaine de joyeux lurons du Maroc.

Cela fait quatre heures que notre avion fonce sur Bangui et que ces joyeux journalistes marocains font la fête Verre Sur Verre…. Dans deux jours leur équipe nationale sera en Centrafrique pour jouer aux 1/8 de finales de la CAF. Le pays les attend de pied ferme et cela sera en Centrafrique l’événement du siècle.

Intelligente et coquine, elle me commande une bière Heineken, des petits gâteaux tadjiks et une poignée de noix de cajou, grillées à souhait, m’installe dans la chambre rose et …s’éclipse sur la pointe des pieds.

A la guerre come à la guerre. Autant attaquer la bière en attendant le président du Rotary de Dushanbe et néanmoins Président d’une Compagnie d’aluminium, première industrie du pays.

Jeune, élancé, galant et peu disert, il s’installe face à moi et me scrute comme si j’étais un petit homme vert descendu de Mars ou de Jupiter, tout en écoutant mon projet de folles découvertes tadjiks. Sans se démonter, ni m’envoyer au diable, il commence par me dire :

– « vous venez donc de Tunisie. Je connais. Pour avoir été maire adjoint de notre capitale, ville qui est toujours jumelée à une ville de Tunisie que vous connaissez peut- être ; Monastir, depuis novembre 1967 ! ».

– « mais vous me dites que vous voulez aller non seulement au lac Iskandar Kul mais également au Kirghizstan voisin ! »  

– « Oui cher ami, regardez l’E-mail de mon ami de l’ambassade de France à Dushanbe qui précise les quatre possibilités d’entrer au pays voisin, le Kirghizstan, et les seules deux entrées ouvertes ce mois d’août 2013 vers ce pays. 

Que faire pour mon visa d’entrée, dans un pays policier, pauvre, fermé et entièrement sous la loi du Seigneur Président, du CFA et de la France ?

Je fais rire l’hôtesse et lui demande … de passer en première, histoire de tester les beaux sièges royaux de la RAM. Aussitôt dit aussitôt fait. Voilà que juste face à moi un sexagénaire au port altier semble attirer l’intérêt de toute la cabine de première. En deux minutes nous sommes déjà amis. Il comprend mon angoisse et me dit : « Vous avez de la chance, je suis l’ancien Ministre de l’Intérieur du pays et l’actuel ambassadeur centrafricain au Maroc, donc descendrez directement avec moi, le Protocole m’attend avec une voiture particulière ! »

Waw ! Donc Bouddha existe. L’avion atterrit, la voiture arrive et SE, son attaché de presse et le Voyageur perdu montent à bord… pour descendre au salon d’honneur de la République.

Imaginez une vaste pièce de 15m sur 3 avec deux beaux téléviseurs et quatre fauteuils en velours jaune-orange. Au fond, dix policiers taciturnes entourent un curieux box métallique. C’est le scanner des passagers partants, dont une bonne dizaine est au salon d’Honneur. Le temps est long. Déjà une heure de passée. Le salon se vide et voilà que mon ambassadeur disparu…revient comme par enchantement pour me dire : « Vous m’avez caché que vous aviez à Tunis un ami centrafricain…. Je vous laisse avec lui. Bonne chance ! »

Heureux éléphants en liberté complète, en RCA

Mince pour ne pas dire merde ! Me voilà largué à l’aéroport du bout du monde où le tarmac n’a que notre seul et unique avion comme hôte du soir ! Je n’ai rien compris au verbiage de l’ambassadeur, récupère mon seul bagage à main (et seul bagage voyageur) et me prépare à rentrer manu militari au Maroc… Sans accès à aucune doléance, ni appel devant haute cour.

Soudain, une accalmie dans la tempête. Une voix suave, amicale et chaude : « Docteur Trimèche, vous ne me reconnaissez donc pas ? Moi, je croyais que vous blaguiez quand vous m’avez dit l’an passé que vous vouliez venir dans mon pays… » 

« De bleu de Bleu » dirait le Suisse. Mais c’est mon ami de la Bad l’ambassadeur Willybiro ! Incroyable. Et le voilà qui me rassure :

« Son Excellence avec qui vous êtes venu vous a confié à moi. Par pur hasard, je suis ici, pour le départ de mon fils vers les USA, via Casa, donc on attend le décollage de son avion, vers 1h du matin et je vous accompagnerai à votre hôtel de Bangui, que vous dites avoir réservé par notre amie Madame Ko. »

« Mais qui fera mon visa ? Comment faire pour entrer légalement au pays ? »

« Pas de problème, je vais remettre votre passeport à cet officier de police en civil qui vous établira sur le champ un visa diplomatique gratuit ! »

Une heure plus tard, le filiforme officier de police au regard perdu et au costume gris délavé me donne un reçu jaune et me dit :

« Vous pouvez rentrer avec ce laissez- passer. Je n’ai pas trouvé le cachet de visa Patron ! Présentez-vous demain à la police des frontières pour récupérer en ville votre passeport avec visa ! »

Donc c’est fichu. En bon langage africain cela veut dire qu’il faudra braquer la Banque de Londres pour récupérer mon passeport ou tomber sur un diamant de Bokassa qui n’aurait pas encore été offert au président Giscard d’Estaing !

L’aventure ne fait que commencer. A 3h du matin, on est face à l’hôtel du Centre, déjà pris d’assaut par deux journalistes marocains qui répètent sans vergogne : « on a pris tout l’hôtel depuis dix jours et on a même acheté des matelas neufs pour toutes les chambres.

 

Charme africain !

Notre équipe nationale arrivera dans 48 heures. » J’ai beau présenter ma réservation écrite…l’ambassadeur en désespoir de cause téléphone à Madame Ko (et quel réveil !!) pour se plaindre et demander de l’aide…au Voyageur sans hôtel.

Il est 3h30 du matin : ni hôtel, ni passeport, ni visa : Vaya con Dios !

La nuit sera très courte. Il fera jour dans 3 heures de temps. L’ambassadeur Grégoire Willybiro qui m’accompagne est embêté et n’ose pas m’inviter à aller passer la nuit chez lui, faute de chambre d’hôtel disponible à 3h du matin à Bangui.

On décide d’aller vers l’ancien Sofitel pour trouver enfin une chambre au 19e étage du plus grand immeuble du pays. Vide aux ¾ à longueur d’année cet ancien bel hôtel Sofitel porte aujourd’hui le nom du fleuve Oubangui, sur l’avenue Charles de Gaule et à 200m du Congo RCD, sur la rive opposée.

Le climatiseur de ma chambre devrait par son bruit couvrir le bruit d’un vieux cargo en mer et la télé Noir et Blanc diffuse un vieux clou des années soixante… Vivement Morphée !

De flic en flic et de Flic à Fliquette

Au matin, je pars à pied sur la seule route asphaltée de Bangui, qui passe par toute la ville, d’est en ouest, en m’amusant à Colin Maillard avec chaque Nid de poule transformé ici en Nid d’éléphant…à la recherche de la Police centrale pour récupérer mon passeport et obtenir enfin mon visa d’entrée promis hier nuit à l’aéroport!

Le premier bâtiment jaunâtre est immense avec une grosse mansarde jaunâtre. Fausse adresse. Il faut monter direction centre-ville et Présidence. Un bon kilomètre plus loin une autre bâtisse de flics avec des officiers qui semblent somnoler debout. Personne ne comprend mon histoire de passeport à récupérer… avec visa d’entrée.

 

Une République policière

Soudain, jaillit de nulle part une belle africaine de 25 ans à l’œil vif et au sourire ravageur en tenue orangée et au beau foulard élégant rouge vif. Une femme flic… un officier peut-être. Elle comprend mon histoire et me propose de m’accompagner à pied au haut de la colline vers le siège de la police des frontières.

A mi-chemin elle s’arrête net. Change d’avis et veut téléphoner. Sa collègue lui confirme au téléphone qu’elle devra se pointer sous le grand arbre de droite à l’entrée de la caserne…

Exact. Au bout de dix minutes à peine arrive une bien forte et grande dame en boubou rouge sang et foulard bleu nuit qui dit à sa collègue :

« Tu ne m’a pas apporté à manger, mais tu m’as apporté un mari. Ok je prends ! »

Sans mot dire je me laisse faire et passe de la souriante Fliquette 1 à la « Bien en Chair » Fliquette 2 !

Un dédale de cours et courettes grises, sales et lugubres et d’insalubres bureaux où trainent des policiers épluchant les journaux du mois passé ou peut-être seulement de la veille… Au dernier bureau, je suis reçu par un Capitaine de la police des frontières. Petit, malin, bavard et curieux il me dit :

– « Vous avez un grand problème Monsieur et votre reçu de passeport ne veut rien dire. Avez-vous une voiture pour aller avec moi à l’aéroport et chercher votre passeport qui est encore là-bas, puis acheter un visa ? »

– « Mais Capitaine, l’officier de l’aéroport m’a dit que je peux obtenir chez vous un visa diplomatique et récupérer mon passeport. »

– « Vous êtes dans une situation illégale : ni passeport, ni visa et en plus pas de voiture pour aller à l’aéroport. C’est vendredi, veille de week-end, revenez lundi on trouvera peut-être une solution. Et il me jette dehors. »

Je retourne vers la Fliquette bien en chair et lui demande si elle pouvait me prêter 30 secondes son téléphone cellulaire (la veille on m’a volé le mien à Casa) pour appeler mon ange gardien Madame Ko.

– « Ah ! Tu connais Madame Félicité Ko Patron ? Pas de problème alors, je l’appelle pour toi… »

Le soir même Madame Ko m’envoie avec son frère mon passeport avec mon visa contre 50€ payés à la police…

Le voyage ne fait que commencer et j’ai hâte de découvrir cette belle et attachante Afrique … et d’aller enfin vers l’aventure, mes Gorilles à dos argenté et mes pygmées…. En oubliant un seul détail. Que c’est la saison des pluies et que les routes sont à moitié coupées….

Vaya con dios amigos !

Un poisson grillé au bord du fleuve Oubangui

C’est midi. Nous sommes au niveau de l’équateur. Le ciel est bas et les trottoirs ensablés sont bien rouges de terre minérale. Couleur des trésors d’un pays qui se cherche dans les dédales de l’humanité et de l’Histoire. Bois, diamants, or, uranium et autres minéraux seront un jour exploités !

En cette Oubangui-Chari devenue depuis son indépendance, en 1958, République Centre-africaine ou RCA, chaque pas dans la rue de Bangui la capitale est un voyage dans l’espace…

 Soif. Oui, j’ai soif d’une bonne bière africaine et d’un petit truc à grignoter pour ce midi.

J’interpelle dans la rue ce jeune sportif de 40 ans, en cravate chemise, qui me dirige dans un français châtié vers un bar, 100 mètres plus loin. Waw, cinq serveuses et trois garçons en livrée blanche et zéro client ! Une vraie prison 4* qui ne me donne aucune envie de prendre ma bière si attendue. Au menu je vois : « cuisses de grenouilles » …et hop, le Maître fait quatre petits tours et puis revient pour me dire…qu’il n’en avait plus…

Bien au centre la Centrafricaine République !

Je quitte ce bel endroit sordide pour tomber pile poil sur le même jeune quadra qui m’avait indiqué cette adresse culinaire…ou prison de luxe et lui dit :

– « J’ai simplement envie de trouver un truc local, avec des locaux, de la bière locale et des mets locaux et pas un triste cinq étoiles… »

 Aussitôt dit aussitôt fait, il m’emmène avec son ami Ahmed, vers le fleuve Oubangui et me parle du Tunisien de Kasserine Nabil Khalfi qui est son chef ici, dans leur boite de téléphonie, ex Orascom…

Une table en bois brut face à la berge du fleuve. De simples sièges en bois et un poisson « péte » ou grillé servi généreusement avec en plus des plantes pays, du « chipointe » genre de manioc, de la moutarde et un genre d’harissa. Cette patte de manioc est découpée en petits morceaux, soit un genre de pain.

 

Entre le Congo RDC et la Centrafrique : quelques encablures …

La bière d’un demi-litre est fraiche et pétillante et le lave main est à portée de main ! En face, à 200m à peine s’étale le grand géant voisin, le Congo RCD ou Zaïre. Des pirogues valsent entre les deux pays. Certains pêchent et d’autres font leurs petits commerces entre les deux rives sœurs !

Soudain, une pirogue de 12m s’approche de notre berge. Le premier piroguier garde la proue et sa pagaie, bien assis en tête du bateau. Le second, va au bout de la pirogue, plonge son très long bâton de 4m de long au fond du fleuve et l’accroche à la terre, le garde planté et court sur sa pirogue à contrecourant, tenant fermement le bout de son bâton, faisant de son corps de sportif un Turbo à la pirogue !

Le poisson est d’une finesse incroyable. Il fond en bouche et nous happe de ses mille parfums. Mes deux amis sont diserts et gourmets… Une heure de grâce et d’amitié au bord du fleuve pour le meilleur déjeuner de l’année 2011…

Gracias a Dios ! Merci amis de RCA, de Bangui, et que vive l’Afrique !

Visite des Ministères

J’ai décidé ce matin de traverser toute la ville à pied pendant trois heures pour me rendre de mon hôtel au bureau du grand ministre d’Etat et ancien patron de la police, Jean Sako Willybiro. Quelle surprise ! Un gros immeuble de trois étages qui s’étend en largeur, fissuré et lézardé de toutes parts. Son air désolant est encore heureux, à côté de l’immeuble qui le jouxte. Un rescapé de guerre à l’image des immeubles que l’on voyait en pleine guerre du Liban au cœur de Beyrouth, des gruyères en béton. Quel gâchis, tout un immeuble ainsi abandonné et non rénové.

A l’entrée de l’immeuble ministériel, la surprise est double. La première est un troupeau de chèvres qui accapare un terrain sablonneux de 10m² lové au creux de la base des escaliers. Ces chèvres ministérielles on l’air d’avoir la grâce du gouvernement et du peuple. La seconde surprise, ce sont trois plaques juxtaposées à l’entrée de cet immeuble. Trois plaques, pour trois ministères, sur trois étages. Ainsi va la Centrafrique. Au troisième étage, mon ami ministre d’Etat et néanmoins ancien ambassadeur à Paris qui n’a pas encore remis la passation à son nouveau collègue, me reçoit longuement et aimablement pendant une heure.

Visite d’un cyber café

Mon nouveau guide souhaite me montrer son compte Facebook et la photo de nous deux qu’il a postée hier soir. Quel voyage ! Nous ne sommes pas en Estonie où le wifi est disponible gratuitement sur chaque banc public et dans chaque ruelle. Ici, faute d’une clé 3G ou d’une ligne adsl, il faut se contenter d’un cybercafé. Une cour. Une courette. Des escaliers en colimaçon tenant debout par miracle. Arrivée dans un dédale de couloirs pareils à ceux des égouts de Bamako. Les murs sont tristes et verts d’humidité et de moisissures. Une demoiselle dégoulinant de sueur et de non-grâce tapote sur un clavier préhistorique (vieux de plus de 20 ans) son texte sur un dossier internet. Sa copine est affalée sur une large et vieille chaise en osier au balcon de l’office. Ici dit-elle, on respire, l’air est frais. Le boss qui a aménagé ce taudis en cybercafé tient le compte et le décompte des minutes qui passent sur chaque clavier de ses clients. Et au suivant…

 

Visite d’un diamantaire indien

Une Toyota flambant neuve dénote avec frayeur dans une courette de cette avenue principale. Je me faufile et salue décontracter les quatre vigiles qui me font face. Sans réfléchir ils répondent à mon salut et l’un d’eux me précède pour m’accompagner vers des escaliers intérieurs. Tapis rouge. Rampe d’escalier en bois précieux et lumières tamisées font de cet antre de luxe un monde bien éloigné de mon cybercafé. Sans vergogne, je sonne à la porte principale. Une charmante soubrette en mini-jupe et maxi sourire me souhaite la bienvenue en me disant que j’avais même dix minutes d’avance. N’étant pas le monsieur John qu’ils attendent, je force néanmoins leur porte et me laisse servir un fabuleux thé indien et essaie de comprendre ce que font ces personnes dans cet antre éthéré. Je retrouve ma Guinée-Bissau où des Indiens de New Delhi viennent acheter toute une production d’usine de noix de cajou pour l’emmener en Inde, la travailler et la vendre dix fois plus cher à Berlin ou à Paris.

 

Ici, à Bangui maintenant dans cet immeuble se nouent des transactions qui feront pâlir de jalousie notre ami Giscard d’Estaing. Ici, se vend le diamant par centaines de gros cailloux provenant des mines centrafricaines pour aller rejoindre les diamantaires de New Delhi.

Il ne reste plus qu’une minute dans mes dix minutes d’avance avant que je ne sois démasqué comme inquisiteur et ose ma dernière question : « Jolie demoiselle, une chose reste incompréhensible dans ce monde si feutré et si actif où les Indiens sont les nouveaux seigneurs du diamant, pourquoi est-ce que la rutilante Toyota que j’ai vue en bas porte la plaque blanche et rouge : présidence de la république » ?

La réponse n’a pas besoin de réponse. Travailler sous mon couvert et n’oubliez pas ma côte part…

Visite au Tunisien de la RCA

Mon ami responsable télécom de Bangui tient à me présenter un de ses collègues qui est Tunisien, Nabil Khalfi, un ancien de Tunisiana, à Tunis, et ce la veille de mon expédition hasardeuse vers les Pygmées. IL est rondelet, silencieux et sacré bosseur. Il a attrapé le palu suite à quelques nuits blanches sur le gazon de la belle et attrapé la bilharziose en plongeant dans une rivière pourrie. IL me parle de cette Tunisienne qui est venue ouvrir un restaurant à Bangui ; voulant concurrencer les Libanais. Elle réussit brillamment, mais un jour, on lui arracha son beau sac en cuir noir contenant tous ses papiers ; deux téléphones et une grosse liasse d’euros. Notre Tunisien télécom appelle « Mister 35 » à la casquette rouge et Conseiller discret à la garde rapprochée du président de la République. Le sac à main fut retrouvé en trois heures avec l’intégralité de ses trésors contre une grasse prime à Mister 35. Le lendemain, j’ai demandé à rencontrer ce monsieur qui oserait peut-être m’emmener chez les Pygmées. Attablés au café libanais du coin, une casquette rouge vissée à la tête, arborant glorieusement son nom d’artiste (Mister 35), il avalait goulument sa glace au chocolat en m’énonçant ses conditions : 1) 100 euros pour l’essence 2) 100 euros pour la voiture 3) 100 euros pour le risque et 4) 100 euros pour l’imprévu. Soit 400 euros par jour de voyage. Plus tard, mon taximan dévoué prendra pour deux jours de cavale la somme totale non pas de 800 euros comme Mister 35 mais seulement un seul gros billet de 100 euros.

La ferme de Wilibiro Grégoire

Chez nous les Bouddhistes, nous croyons au destin et au déroulement des pages de la vie qui vous accueille toujours avec tant de surprise et souvent de bonheur. J’avais connu Grégoire Wilibiro dans une réception d’ambassade à Carthage alors qu’il était directeur à la BAD. Comme narré en début de ce reportage, j’ai retrouvé par pur hasard cet ami qui me reçoit aujourd’hui à Sidi Bou Said… euh à Bangui, dans une maison décorée par son épouse aux couleurs et aux peintures du village de Sidi Bou Saïd en Tunisie. Une fontaine d’eau murale nous murmure l’histoire du monde et nous invite à déguster un plat Koko na nyama, soit une feuille de liane coupée très finement, mélangée à une viande de bœuf qui se laisse fondre en bouche. Après le thé nous sommes invités à découvrir la ferme de Grégoire ou sa résidence secondaire. Sur quatre hectares, un élevage de cochons dans une porcherie digne d’une porcherie italienne ou grecque avec le poids, l’âge et les mensurations hebdomadaires des hôtes quadrupèdes. De partout, des arbres fruitiers meublent cet antre de paix et permettent à notre ami de s’évader des dures réalités du pays.

 

Un taxi pour les pygmées

Tous mes nouveaux amis refusent de m’aider à partir en forêt pour aller voir les pygmées et les gorilles à dos argentés. Il est vrai que dans mes préparatifs de voyage, j’ai oublié un fait majeur, celui des saisons en RCA. Nous sommes en pleine période des pluies et toutes les routes sont coupées…

Reste l’aventure.

Un soir, je prenais une bière fraiche dans un bar sur la rive du fleuve Bangui. La fille de la tenancière m’intrigue par sa couleur « chocolat chaud ». Sa maman centrafricaine est mariée avec un officier français depuis 20 ans. Le Lieutenant a pris sa retraite à 52 ans et Madame ouvre son bar….avec une fille qui n’a qu’une envie, profiter de son passeport français pour mettre les voiles. Entre deux crises de palu, elle tue le temps à se faire belle et à aguicher gentiment les clients du Bar-Resto de maman.

Grâce à elle j’ai pu entrer en contact avec un chauffeur de taxi courageux et non bandit assumé. Il a 20 ans, des fausses lunettes blanches, une vieille veste noire râpée et comble du chic, pour vous inspirer confiance, une écharpe noire soyeuse.

A sept heures du matin il arrive devant mon hôtel comme convenu, avec la belle jeune dame en otage/assurance-tous-risques ! Vaille que vaille ! Le programme est fixé pour 48 heures de brousse/forêt chez les Pygmées en laissant tomber le safari dans la réserve spéciale hélas inondée de Dzanga-Sangha vaste de 336 000 ha. !

 

Jeune Pygmée en forêt

Quatre bouteilles d’eau et quelques sandwichs sont nos seules armes pour la Paix. Direction Nord-Ouest vers Boali et Bossembélé. Au bout de deux heures de routes et après trois barrages de fortune de l’armée, le chauffeur décide de quitter la seule route asphaltée du pays pour prendre dit-il un raccourci. Les heures se suivent et se ressemblent avec une voiture qui tressaute à chaque nid d’éléphant. Dix, vingt, trente fois, un des deux passagers sort pour guider le taxi à passer entre deux monticules et une grosse flaque d’eau. Il est 14 heures et enfin une apparition. C’est vrai qu’on a du mal à réaliser que cet homme presque nu n’a qu’un mètre ou un mètre 10 de haut. Sa sarbacane sur l’épaule et sa petite antilope sur le dos il barre la route sans frémir.

C’est lui qui nous guidera au village des pygmées grâce au dialogue du chauffeur de taxi dans un incompréhensible dialecte local. Notre chauffeur a une sœur mariée à un Pygmée. Vers 20h on arrive chez la sœur…. Il faudra un livre pour raconter cette nuit dans une hutte d’argile mais je ne peux oublier l’hospitalité et la gentillesse de mes hôtes. Tous presque nus, vivant avec moustiques, serpents, fauves et reptiles ils se glissent comme un marsouin dans l’eau et partagent leur maisonnée avec les trois invités. Une nuit presque blanche dans une bien noire Afrique, à dix années lumières des frasques de Saint Barth ou de Monaco. Les pygmées j’ai bien rencontré et j’en garde le meilleur et le plus profond souvenir de déférence et de gratitude. Mais des Gorilles argentés, je n’ai vu qu’un seul exemplaire à la sortie d’un village et hélas en cage. Cette race de gorille géant de 300 kg vit en polygames dans la forêt profonde et porte le nom de Gorilla beringei beringei

 

Mais d’où viennent ces pygmées et où sommes-nous donc en cette forêt équatoriale?

L’Afrique Centrale possède la deuxième plus grande forêt du monde (1 840 000 km²), véritable poumon de la terre, elle est le paradis des botanistes, zoologistes et des Voyageurs-vadrouilleurs. La République centrafricaine, aussi appelée Centrafrique, est un pays sans accès à la mer d’Afrique centrale, entouré par six pays : le Cameroun à l’ouest, le Tchad au nord, le Soudan et le Soudan du Sud à l’est, la RDC ou République démocratique du Congo et le Congo au sud. L’essentiel de la frontière sud du pays est marqué par le fleuve Oubangui et le Mbomou en amont. La partie nord du pays constitue le haut bassin du fleuve Chari. Ce sont ces deux fleuves qui donnèrent son nom de colonie au pays alors sous domination française.

 

Heureux Pygmées dans leur forêt loin du monde et de ses soucis

Valery Giscard D’Estaing et ses diamants ?

Cette histoire de diamants nous pousse à connaitre un des personnages les plus illustres (dans les deux sens du terme) du pays : le général empereur Bokassa 1er l’anthropophage supposé! A Bangui j’ai posé la question à plus de vingt personnes. Est-il vrai que Bokassa a mangé des êtres humains pour les punir ?

Les réponses sont édifiantes. Bokassa est un dictateur éclairé qui voulait faire progresser son pays à la hussarde. Il planta la première centrale électrique. Il ouvrit la première université du pays. Mais il exigeait une obéissance aveugle. On cache encore, 20 ans après, cet épisode d’une centaine d’écoliers en grève, réunis par Bokassa dans un stade pour les sermonner. Changement de programme ce stade est rapidement transformé en place Tienanmen avec un millier de jeunes cadavres mitraillés.

 

Valéry Giscard d’Estaing et Jean-Bedel Bokassa

Quand un voleur est arrêté il lui coupe l’oreille et souvent une main. La seconde fois c’est l’autre oreille et l’autre main. Mais, à la 3e fois le voleur aura selon les humeurs du général (Colonel en fait) le droit de passer à la mare aux crocodiles pour leur servir de festin ou de passer à la broche pour servir de festin humain à Bokassa ! Il est vrai que les pygmées étaient eux anthropophages, mais dans des temps lointains…

Quant à notre aristocrate président Giscard, il eu à croiser le destin de son ancienne colonie française, la Centrafrique et à rendre visite au frère Bokassa 1er pour assister à son intronisation d’Empereur…. A pareil déplacement on offre une « poignée du trésor pays », soit quelques gros grains de diamants, dont le Canard Enchainé sera le premier à en faire festin…

Un ami dira : « Ah ! Ça je m’en souviendrai toute ma vie ! Le couronnement de Bokassa comme empereur de Centre-Afrique ! Sacré Bokassa ! Peu après son couronnement il a été chassé du pouvoir par l’armée française (l’opération Barracuda) après que les preuves ont été apportées du massacre d’une centaine d’étudiants contestataires à Bangui par les forces armées de l’empereur. Mais voilà que Bokassa réfugié au Tchad va laisser filtrer habilement auprès d’un journaliste des informations sur les cadeaux reçus par Valéry Giscard d’Estaing de sa propre main, avec documents signés « Bokassa » à l’appui ! »

Les présidents se suivent et les coups d’Etat également

Aujourd’hui c’est François Bozizé qui tient le pays par une main de fer, laissant crever les pauvres et végéter les moins pauvres dans une ancestrale Afrique qui se cherche encore et toujours. La France verrouille tous les systèmes. Elle garde une base armée au cœur de la ville de Bangui, sur le fleuve et à l’aéroport même. La colonie n’a jamais été plus présente. Des centaines de hauts cadres centrafricains peuvent ainsi continuer à envoyer leurs enfants en France et même s’il le faut avec un passeport français. En contrepartie la France exploite bois, diamants et toutes ressource naturelle tout en faisant de ce pays une simple chasse gardée.

Mais la Chine arrive. Le Nouveau colonisateur du monde qui vient d’acheter le précieux port d’Athènes en Grèce et de grosses industries en Italie, fort de ses immenses réserves en or, en dollars et en euros a commencé par l’Afrique. Le nouveau colonisateur est plus malin et plus vicieux que ses prédécesseurs anglais et français et plus direct que son concurrent aux gros sabots américains. Ces deux derniers veulent aujourd’hui « se payer l’Afrique » et chasser si possible les anciens colons.

Ici, la Chine a bien commencé. Elle offre une centrale électrique dite Bouali 3. Ainsi les pannes électriques de Bangui ne sont plus de 12 heureux par jour, mais seulement de 3 heures. Le temps de basculer l’électricité de quartier à quartier. Cette semaine ils se payent une gigantesque pub au nez des gendarmes français. !

Au carrefour central de l’avenue Charles de Gaule, les Chinois accrochent une pancarte de 20m sur 4, toute jaune et bleue annonçant qu’ils vont re-asphalter la seule et unique rue asphaltée du pays. Et au gendarme de me dire (et il a raison) : « ils devraient créer une nouvelle rue asphaltée et non venir redorer la nôtre ».

La chine finira par conquérir presque tous les sous-sol de l’Afrique et y puisera tous ses métaux précieux à la barbe de plus d’un. L’autre colonisateur nouveau et inattendu de l’Afrique est le « Libanais » et non le Liban, qui aura quant à lui déjà conquis le commerce et la restauration de la majorité des pays d’Afrique. Ici, à Bangui la totalité des cafés, commerces en gros et restaurants sont libanais !

1800 : Ngoura, le leader des Kogobili, fonde la nation Zandé

1903 : 29 déc. Décret de création de la colonie de l’Oubangui-Chari.

1906 : – 11 fév. L’établissement de la colonie en Oubangui-Chari avec sa capitale Fort de Possel. (Fort-de-Possel: capitale de l’Ubangui-Schari-Tschad) 
           – 11 déc. Un décret fait de Bangui la capitale de l’Oubangui-Chari.

1910 : 15 jan. Le Congo français et les dépendances deviennent Afrique Equatoriale Française (AEF); il s’agit des colonies du Gabon, du Moyen-Congo, de l’Oubangui-Chari et du Tchad.
L’armée de El-Sénoussi prend Ouanda-Djallé. Ce qui entraîne l’exode de la population Youlou.

1960 : 13 août 1960 : Proclamation de l’Indépendance

1966 : – 1er jan. David Dacko est arrêté par les militaires et passe le pouvoir au Colonel Jean-Bédel Bokassa, le Commandant en chef de l’armée. Proclamé Président de la République, il est habilité par l’acte constitutionnel n°1 du 4 janvier 1966 à prendre par ordonnance toutes les mesures exigées par les circonstances. Il a plein pouvoir légiférer. – << Une nouvelle aire