Aventures du bout du monde

Par Rached Trimèche

Bissau. (Août 2006). Perdu avec mon fils Alex dans la profonde jungle de la Guinée Bissau, fuyant (sans le pouvoir !) les gros moustiques anophèles femelles porteuses de malaria et les géantes termitières attirant les belles couleuvres et vipères du coin, je m’évade vers d’autres cieux plus cléments…un voyage dans la mémoire !

Plusieurs anecdotes me reviennent à l’esprit et j’ai soudain envie de les écrire, donc les revivre. L’une, est au quartier huppé de Rose Bay, en Australie, la seconde face au lit de Simon Bolivar à Cuzco au creux du Pérou, une troisième à l’aéroport de Darwin vers l’île des « jeunes dinosaures ou komodos » de Timor, au Lorosae, au sud de l’Indonésie et enfin une quatrième aventure aux Maldives où notre beau et grand Bouddha sri lankais nous fut confisqué à la douane.

Sydney sans billet

Rattrapons le train de la mémoire! J’étais au quatrième semestre de sciences Po, à l’université de Köln. Je suis rentré passer trois jours à Tunis pour embrasser mes parents et leur apprendre et « expliquer » que je partais pendant 70 jours (congé-prolongé entre deux semestres d’études) vers un long périple entre l’Océanie et l’Asie du Sud-Est ! Six mois de préparatifs soutenus et un achat de gros tronçons de voyages aériens entre plus de 30 pays….

Mon père, comme d’habitude, me dit derechef que j’étais le roi des fous, que c’est long et dangereux et se demande comment j’avais fait pour acheter tous ces billets d’avions. Bref, il ne me restait plus qu’à me faire rembourser le tout et passer mes vacances à Hammamet !

La nuit fut atroce et je n’avais pas assez d’arguments pour lui expliquer que c’est en auto-stop que je comptais traverser la majorité des pays….

Au café du matin, son air furieux fait place à un tendre sourire et à une profonde inquiétude.

– « Tu n’as que 20 ans et un tas de billets d’avions et même trois visas sur ton passeport ! J’ai bien compris que tu traverseras ces pays en stop et que tu acceptes ce risque, mais il reste un point noir : comment feras-tu du stop entre Auckland en Nouvelle Zélande et Sydney en Australie ? »

Je connaissais ce problème certes mais j’ai pensé trouver une solution miracle à Wellington, Auckland ou même à Dunedin dans la lointaine Nouvelle Zélande !

Et à mon père de continuer sur sa lancée d’une voie douce et protectrice :

– « Bois vite ton café, tu iras au 35 Rue Es-sadikia à Tunis, chez notre voisin M. Ferjani, patron d’une agence de voyages…qui t’attend avec une petite surprise »

Effectivement, l’ami de mon père me reçoit avec des yeux écarquillés, tente à son tour de me dissuader à aller au bout du monde et finit par sortir deux enveloppes blanches de son tiroir. La première contenait un billet d’avion reliant Wellington à Sydney. La seconde contenait une chose que je déteste. Un paquet de cigarettes. De couleur bleue.

– « Puis-je te demander Rached de remettre à Gaston Darmon, installé à Sydney, ce paquet de cigarettes tunisiennes, de la part de sa sœur…qui espère ainsi par ton intermédiaire revoir un jour Gaston ! »

El là commence une incroyable aventure

 

Gaston Darmon en Australie

Le voyage continue. Le périple commence !

Rapide retour à Cologne pour attraper un gros sac de voyage et partir sur Londres. De là commence mon plus long vol de jeune voyageur : Londres-Acapulco d’un seul trait, soit la traversée de l’Atlantique, du continent américain et arrivée au Pacifique, dans cette mythique ville des plongeurs insolites et des touristes fortunés…Acapulco. Puis rapidement Papeete et Bora Bora (où je fus reçu par la 3e épouse de Gauguin…pendant dix jours). La Nouvelle Zélande du bout du monde (parcourue ensuite de bout en bout en bout en autostop) et enfin Sydney.

Déjà près d’un mois de voyage et mes pupilles sont toujours aussi dilatées, mon nez au vent et mes oreilles aux aguets ! Que de découvertes dans ce monde si lointain et captivant !

Quand on voyage sans le sou (ou presque), quand l’Aventure est notre pain quotidien, il ne reste plus qu’à organiser son voyage et à se doter de « redoutables armes de Paix » : le sourire et les langues étrangères. Pour ce périple, j’ai dû avoir recours à une troisième astuce. Baliser tout un itinéraire et le jalonner de « connaissances » ou « d’amis d’amis », soit d’amis de  mes autres amis !

Eurêka elle tourne ! Eurêka ça marche ! Dans tout ce périple américano-océano-asiatique j’ai pu dresser toute une chaîne de contacts (un préambule de CIGV ?) à chaque escale !

A Sydney, c’est la toute charmante Kimberley qui m’attendait et qui n’avait que huit ans de plus que moi… Jeune médecin, elle était la cousine éloignée d’un camarade de faculté à Genève…

La soirée de retrouvailles fut splendide…

Le lendemain, traînant la patte, j’ouvre enfin mon sac de voyage pour laver mon linge et découvre avec stupeur, entre une culotte et un tee-shirt blanc…un paquet bleu froissé…un paquet de cigarettes !

 

Mince ! Zut ! C’est le paquet remis à Mohamed Ferjani de Tunis, mon voyagiste, par la sœur de Gaston Darmon, que je devais rencontrer à Sydney et lui faire ainsi sentir l’odeur du pays…

Kimberley ne comprend rien à mon histoire et refuse derechef de rechercher dans cette mégalopole de Sydney un illustre inconnu du nom de Gaston Darmon ! Internet, MSN, E-mail et Skype n’étaient pas encore de ce monde dans les années soixante-dix…

J’ai attendu patiemment son retour de l’hôpital, lavé et repassé mon linge et fit tout pour la persuader de me trouver Gaston D.

De guerre lasse, elle commença à lancer quelques coups de fils à travers Sydney et revint subitement me dire :

– « T’es sûr de ce nom ? » avec une rage cachée et un visage livide. Je ne reconnaissais plus ma belle blonde aux yeux verts pétillants perlés d’étoiles jaunes vibrantes et parlantes…

– « Voilà l’adresse de ton Gaston D. mais vas-y tout seul Grand Voyageur. Je te laisse la clef sous le paillasson, si tu rentres tard. ».

C’est que c’est la ravissante Kimberley qui m’intéressait et je devais passer encore cinq jours avec elle avant d’entreprendre plus de 4 000 kilomètres d’autostop de Sydney à Darwin en passant par Brisbane et Adélaïde…

Gaston n’allait pas me gâcher ce tendre havre de paix…

Mais, né curieux, je suppliais ma nouvelle amie de m’accompagner chez ce mystérieux Gaston qui semble l’effaroucher !

Elle refusa de m’expliquer le pourquoi de sa colère mais préféra annoncer notre visite par téléphone !

Plus d’une heure de route en voiture. Le centre de Sydney est loin et le quartier huppé de Rose Bay nous attend. La nuit est fraîche, calme et légèrement envoûtante. Pas âme qui vive dans ce quartier. Soudain, les lumières sont plus fugaces et les ruelles plus étroites. Il me semble entendre le roulement de tambour du cœur de ma compagne sous son joli chemisier rose aux dentelles légères…

 

Numéro 46. Stop.

Une porte rouge sang et un mur noir. Le flux d’adrénaline est à son comble. On quitte notre VW pour se précipiter sur la sonnette dorée…

Quel voyage ! En quelques secondes tout chavire ! La crainte et la peur font place aux effluves de Channel, aux paillettes de stars et à la pénombre de la luxure…

Emu, très ému, Gaston Darmon est assis dans un large fauteuil de velours rouge, cigare planté dans sa bouche et chevalière dorée au doigt. En quelques secondes il nous pèse et soupèse, ausculte et pénètre…et décide de se lever, d’ouvrir ses bras et de nous embrasser.

A la vue du paquet de cigarettes tunisiennes il fond en larmes comme un enfant attendri et nous invite à passer chez lui, à l’étage au-dessus et à quitter ce monde feutré de « Madame Claude » son gagne-pain australien…

Une soirée irréelle et pourtant bien vraie ! Un couscous maison et même de la boukha, cette eau de vie de figue. Gaston n’a jamais délaissé sa Tunisie, qu’il a pourtant quitté il y a plus de 30 ans pour faire fortune en Australie !

Les caprices du hasard égrènent les pas du voyageur et font de chaque rencontre un chapitre qui agrémente la vie !

Si la magie du WEB, du Net, pouvait me donner des nouvelles des descendants de Gaston Darmon – Né le o 16/1/1910 à Tunis (nom de mère : Fortunée) et dont la fille Linda est née le 1er avril 1958 à Sydney- qui doivent être encore à Sydney, à Tel Aviv, à Paris ou à Londres…j’en serais très heureux et remerciant !

Bouddha otage aux Maldives

Malé. (Août 2005). Après deux semaines de folie au Sri Lanka ancestral et des retrouvailles bouddhistes tant attendues, nous avons droit à six jours de repos et de calme, dans un vrai « plat pays » qui n’a rien de Brel, ni des Pays Bas. Anis, mon fils et fidèle compagnon de voyage en a décidé ainsi.

A la nuit tombante, l’arrivée à Malé est surprenante. Des îlots à perte de vue se suivent et se ressemblent par leur petite taille et leur absence de montagne ou monticule. N’était-ce l’éloignement marin, le tsunami de l’an dernier aurait emporté tout le pays.

Les passagers de notre avion allemand sortent rapidement leurs appareils photos et matraquent chaque paysage de leurs petits hublots. Les formalités de police sont rapides mais les douaniers sont regardants. Petit, moustachu, dépourvu de tout sourire et armé d’indifférence, le sieur douanier insiste pour ouvrir notre bagage à main, noir, pour en sortir victorieusement un produit illégal et dangereux. Le 11 septembre a-t- il donc à ce point contaminé les Maldives?

Le douanier appelle son supérieur lequel fait appel à un lieutenant qui, armé d’un simple stylo bleu qui refuse d’écrire, improvise un procès-verbal en bonne et due forme. Le lèse-majesté est évident. Profanation de l’Islam. Dans un pays fortement religieux. L’entrée d’un bouddha blanc en pierre semi-précieuse est une offense à la nation. Je n’en revenais pas. Mon beau bouddha souriant du haut de ses 15 centimètres subira « une saisie conservatoire » par les douanes du pays.

Un petit reçu sera caché à la dernière page de mon passeport sans penser une seule minute ce qui nous attendra à la sortie du pays. Rapidement, le premier bus pour aller au port. Mhamed notre nouvel ami s’improvise guide et chamboule tout notre programme. Heureux de parler espagnol avec des étrangers, il nous prend en sympathie et nous affrète le « Speedy one » pour rejoindre la ville. La navette marine est un voyage dans le temps. Les Maldives s’offrent à nous en luxueux et rapide bateau.

A peine installés dans notre hôtel de fortune, pour une nuit dans cette capitale, que nous voilà déambulant dans les rues de Malé, riche de 64 000 habitants.

Les jeunes musulmanes portent un pudique mais coquin foulard bariolé et ne se privent pas de plaisanter en nous conduisant jusqu’à la porte d’un célèbre et populaire restaurant où une certaine noix exotique serait le dessert défendu… A la libanaise, les petits plats se suivent mais ne se ressemblent pas jusqu’à l’arrivée de cette noix ovale aphrodisiaque dite arecnaut découpée en lamelles et mâchée avec des clous de girofles, comme le quat au Yémen. Ici, l’apport du citron vert en fera un digestif euphorisant !

Seulement 2m d’altitude !

Les Maldives dont le nom dérive de Mala (série) et « dvipa » (îles) se veut un archipel de 26 atolls de près de 1 200 îles coralliennes dont 220 sont habitées. C’est ainsi que commence le speech de Rilwan Shaweuf, notre nouveau Cigéviste, dans son bureau d’agent de voyage. Avec son ordinateur il vend les Maldives à tout venant et n’hésite pas à happer les voyageurs au long cours.

Il continue sur sa lancée : « notre pays à une température moyenne de 27° et l’altitude maximum de nos îles est seulement de 2 mètres. L’année 2020 risque d’être l’année fatale qui engloutira la moitié de notre archipel par ce chambardement climatique et ce réchauffement planétaire…

 

Bandos Island Resort 

Le lendemain, nous retrouvons le Speedy one pour aller vivre quelques jours de rêve sur l’île Bandos au « Bandos Island Resort ». Imaginez-vous un pays divisé en îlots. Imaginez-vous chaque îlot métamorphosé en un seul et unique Resort ou hôtel huppé.

Quelques heureux mortels viennent vivre dans ces hôtels-îles des journées exceptionnelles où seuls le farniente, la plage, la musique, le poisson, la bière, le vin et le champagne (en pays strictement musulman mais pas dans un Resort) et bien sûr Internet avec branchement ADSL…gratuit pour les clients !

Je ne peux oublier cet équipage japonais qui jouxte notre bungalow et qui, le soir venu, s’armait de guitare et de joie de vivre et chantait avec nous les balades de la vie… A l’autre bout de l’île, derrière les cuisines, la forme d’un toit m’intrigue. Des tuiles vertes recouvrent un petit minaret de 4 mètres de haut. Le champagne sera pour les touristes mais les employés du Resort, tout aussi nombreux que les touristes (un par client), se rendent fidèlement à leur petite mosquée pour leurs cinq ablutions et prières du jour…

Le dernier soir, une surprise dans la salle Internet de l’hôtel: le client précédent (du Japon, de Suède ou de Navarre ?) a téléchargé un texte du Web en le laissant sur le bureau ou écran du Pc. Non, ce n’est ni ma fatigue, ni ma myopie qui me jouent une farce nocturne. C’est bien un texte téléchargé d’un site web tunisien webmanagercenter qui parle d’une tentative informatique tunisienne en Mauritanie… Plus tard à mon retour à Tunis, je me ferai un nouvel ami qui ne croyait pas que son travail sur le web atteindrait un jour les lointaines Maldives…

 

Départ catastrophique

C’est le dernier jour du voyage. Si « partir c’est vivre un peu » arriver à la fin d’un voyage c’est déjà mourir un peu. L’aéroport est taciturne et l’ambiance est morose. Les touristes et les voyageurs se bousculent sans se heurter et attendent leur vol de nuit pour rejoindre Munich en Allemagne. Anis, mon « bodyguard », s’empresse d’accomplir rapidement le check in et passe à la police avec nos deux passeports en main. Tout allait bien et on devait même passer au salon d’honneur pour nos 40 dernières minutes aux Maldives… quand soudain Anis s’exclame et demande brusquement au policier qui s’apprêtait à tamponner nos passeports ce qu’il devait faire pour récupérer son Bouddha confisqué à l’arrivée.

C’est le drame. C’est la honte. C’est la catastrophe. Le policier arrête tout mouvement, se lève et se précipite hors de son guichet vers son collègue avec le reçu de notre Bouddha confisqué. Un interminable palabre de 10 minutes s’achève par l’arrivée d’une jeune douanière en blouse blanche bardée d’étoiles jaunes, bien en chair et à moitié endormie. La magie de notre Dame de la Lourdes, du Christo de Rio ou celle de Babakar au Sénégal font que notre blanc Bouddha jaillit de nulle part et nous rejoint. Dieu est grand, Bouddha est clément. Merci. Vivement le salon d’honneur.

Mais le voyage a des raisons que le voyageur ne connaît pas et qui vous change le destin et le cours d’un périple. Le policier qui assiste à la remise du Bouddha refuse cette fois de nous remettre nos passeports.

Ô rage, Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie, n’ai-je donc vécu que pour vivre cette infamie ? Un Bouddha qui revient et un passeport qui disparaît !

Rapidement nos documents de voyage sont confiés à un silencieux policier gradé, nerveux et légèrement haineux. Ce chef décide de s’entourer de trois adjoints pour scruter à la loupe nos passeports.

Cinq, dix, vingt minutes déjà. Un siècle pour ainsi dire. Une éternité. Le drame est en bout de piste, notre vol en tarif PEX sur l’Allemagne partira sans nous et il faudra débourser près de 2000 euros pour un nouveau vol…

 

Anis, tout de calme vêtu ne cesse de me répéter avant de sombrer dans un silence de plomb :

– « Papa calmos ! »

Ecumant ma rage, mon désespoir et mon impatience, je regarde tout ce monde qui décide de s’enfermer dans un bureau au fond du couloir principal.

Rapidement, je fonce sur la porte de cette « prison de passeports », affronte le regard réprobateur d’une dizaine de policiers et me lance dans une longue tirade en langue anglaise en demandant une explication immédiate et même une immunité diplomatique, car notre avion doit décoller dans 18 minutes. Interloqué, le chef brigadier se retient pour ne pas me foutre dehors et me propose même un siège face à son bureau. Il ne reste plus que 16 minutes et je suis toujours perdu dans ce dédale kafkaïen…

Il ne me reste plus qu’à passer de l’autre côté du bureau et à demander au Capitaine de m’expliquer l’énigme qui nous retient à l’aéroport. Il garde son calme et ne me répond même pas, mais passe religieusement le passeport de mon fils sous une grande loupe. Plus que 14 minutes. L’explication est évidente :

– « Capitaine, je comprends votre crainte mais soyez rassuré. Le 11 septembre est omniprésent et je comprends les Maldives dont le tourisme représente plus de 20% du PNB. Vous ne souhaitez pas lire un jour dans un journal qu’un terroriste a quitté les Maldives à bord d’un avion allemand…pour aller tuer en Europe ! ».    

– « Mr Le Consul vous avez tous compris mais le problème n’est pas avec vous, mais avec votre fils. Mais puisque vous le dites si haut et si fort cela veut dire que votre fils n’est point un terroriste…malgré son 1,94m et son diplôme de polytechnicien de Munich. Permettez-moi de vous expliquer ce qui nous a mis la puce à l’oreille. Vous voyez ce fax que nous venons de recevoir de la police tunisienne, il n’est pas assez clair mais il montre une autre calligraphie de couverture de passeport… et surtout un format plus petit. Je pense que votre fils à un ancien passeport tunisien… Aucun problème, j’ai déjà donné ordre pour qu’on vous conduise au salon d’honneur pour vous reposer un peu, boire quelque chose et votre avion partira en retard, mais avec vous ».

 

Adios Maldives. Nous reviendrons sur tes atolls émeraudes.

Le lit de Simon Bolivar

Cuzco. (Mars 1972). L’aventure continue ! Le décor change ! La magie persiste. Et signe. La magie de cette incroyable mémoire à qui on demande aujourd’hui de retrouver le « lit de Simon Bolivar » à Cuzco, dit « El puputi del mundo », en quechua dialecte péruvien, ou « le nombril du monde ».

Sur la trace des Incas (au Pérou) pillés par les conquistadores Espagnols arrivent enfin les Libertadores de tous poils et de forte poigne. Francisco Miranda, Simon Bolivar, Jose de San Martin et Antonio Jose Sucre par exemple, tous leaders des guerres d’indépendance…Les caprices du hasard de ce printemps me conduiront dans le lit même d’un de mes héros, Simon Bolivar ! Le chemin est long et court à la fois !

44 000 kilomètres d’autostop à travers un paradis terrestre, un continent béni par les Dieux et par les hommes, l’Amérique latine et la toute folle jeunesse d’un tout nouveau et jeune bachelier, fou des civilisations aztèques, toltèques, mayas, incas et autres…j’ai décidé un jour d’assister à la fête « Inti Raymi » des Incas, les fils du Dieu Soleil. Dans ma fougue et allure vertigineuse je me trompe de date (Ah ces béliers !) et confond dans ma petite tête le 24 juin avec le 24 mars…trois mois à l’avance !

« Qu’importe le vin pourvu qu’il y ait l’ivresse » disait un grand poète oriental ! Qu’importe l’Intiraymi voilà le Machu Picchu et le Cuzco à portée de main… « Viva la vida » !

Nous voici sur l’Explanada de Saqsayhuaman de Cuzco en contemplation devant ces grosses pierres taillées, de plus d’une tonne chacune. La « harina del pescado » ou farine de poisson des Incas a-t-elle servie à les assembler d’une façon aussi grandiose et parfaite ?

Voilà soudain qu’une belle et ravissante brune de 18 ans, en poncho rouge-brun, me sort de mes rêveries et devient en ce bout de monde « Nathalie mon guide » avec une Place rouge qui est blanche et à plus de 2 500 mètres d’altitude, sur la Cordillère des Andes péruviennes…

Elle, Carmen, la belle aux yeux noirs et pétillants, me contait le festival de Cuzco avec fougue et passion : « Tous les ans, les 24 Juin, la ville de Cuzco célèbre le festival de l ‘Inti Raymi. Ce festival était célébré par les Incas comme étant la Fête du Soleil, où le Dieu-Soleil Wiracocha était honoré. L’Inti Raymi symbolise ainsi la consécration éternelle du mariage entre le Soleil et ses fils : les êtres humains que nous sommes. »

 

Saoulé par cette frénésie d’images virtuelles et assommé par le vertige de l’altitude je demandais à Carmen le chemin d’un lieu de repos…La maison n’est pas une maison. Le musée n’est plus un musée puisqu’il est fermé. La magie de Carmen confortée par les titres et étoiles de son père à l’état-major de Lima, la capitale, nous ouvrent le temple de Bolivar…

Le musée est minuscule et un seul meuble hante les visiteurs. Le lit noir de Simon Bolivar. Un petit lit trônant au centre d’une pièce sombre et mystérieuse. Un dur matelas nous attend, le gardien est absent…et la nuit est longue. Nous sommes seuls dans cette ville perdue où tout le monde dort. Un troisième mal rejoint mes deux maux (altitude et fatigue), cette boisson qu’elle sort d’une fiole magique…

Je la poussais à parler, à parler, à parler et savais que tout viendrait après…mais que son charme, sa fougue et sa jeune érudition allaient me surprendre de plus en plus : « El Libertador, Simon Bolivar de retour d’exil en 1817 libéra en cinq ans, la Colombie, le Venezuela, le Panama et l’Equateur qu’il fédérera en « Grande Colombie » en 1822. Carmen, assise en tailleur, ôte son poncho et du haut de ses 18 ans annonce le couronnement d’une carrière : « Avec son lieutenant, le général Antonio José de Sucre, Bolivar libéra la Bolivie et le Pérou et devint président de la Bolivie en 1825 ».

 

 

 

La Libertadora del Libertador 

Carmen devint pour moi Manuela Saenz la « Libertadora del Libertador » ou la Libératrice du Libérateur…car je ne sais plus rien. Rien de rien. Le froid est intense dans cette maison-musée-grotte. La chaleur de Carmen torride…la soif intense…

Suit une nuit sans crépuscule et sans nuages… Même pas une tramontane à la Brassens…

A 7h du matin un ogre crie et vocifère ! Un gardien qui m’ordonne de me rhabiller et de déguerpir…Dans ma précipitation je ramasse un collier de graines rouges…qui orne encore aujourd’hui un coin de mon petit bureau CIGV…Carmen a disparue !

A nouveau sur la place de la dite « Sexy woman » ou Saqsayhuaman la mémoire me revient en partie, sous ce soleil de midi et néanmoins fouetté par un air vivifiant. La boisson qui m’a fait perdre la tête en compagnie de Carmen était pourtant censée me réveiller d’après Pedro mon nouveau copain de Cuzco, tout étonné de ma mésaventure…tout en me jalousant. Son explication est fort simple : « Ce que la fille t’as offert comme boisson c’est un Maté. Ricardo, ici, la feuille de coca fait partie intégrante de notre culture péruvienne. Elle est particulièrement importante dans cette région de Cusco, capitale de l’empire des incas, qui vient de la reconnaître comme faisant partie du patrimoine régional. La coca est ainsi réputée pour ses valeurs curatives. Le fameux « mate de coca » (infusion de feuilles de coca), est ainsi réputé pour atténuer le « soroche » (mal de l’altitude) fréquent à ces hauteurs inhabituelles (Cusco est à 3326 m, Puno à 3830 m). La coca a aussi des valeurs digestives et de nombreux autres bienfaits si l’on en croit les paysans qui, eux, passent la journée à mâcher une boule faite de ces feuilles sacrées. C’est un peu le fameux quat du Yémen mâché à longueur de soir !

Quid de Carmen et de cette nuit ? Rien sinon le silence.

Une peine au début. La tristesse de perdre Carmen envolée vers un autre Inti Raymi et la joie d’avoir vécu une nuit à nulle autre pareille.
Fatigué, lessivé mais heureux…Elle m’a sauvé du Saroché, du mal des montagnes, et m’offrit le lit de Simon Bolivar…

Le voyage continue !

 

SDF à Saint Barth

Saint Barthélemy. (Avril 1994). Le côté inavoué du voyageur est peut-être ce côté masochiste qui se complait dans la détresse et dans la difficulté ! Sauf, que la destination Saint Baaaarth… comme ils disent (les touristes américains fortunés) ne devait sûrement pas être une source de problèmes et encore moins de détresse ! Allez visiter le nec plus ultra des Caraïbes, présage bonheur, détente et voire luxe ou luxure…

Tout est prêt. Une belle petite sacoche roulante d’une marque sympathique est achetée et bien vite remplie de belles chemises d’été, de confortables pantalons, d’un nœud papillon et surtout d’importants documents CIGV à remettre au club de Saint Barth pour sa solennelle remise de charte ! Le départ se fera via Paris.

Pour savourer pleinement cette belle soirée française, je me laisse choyer par mes amis parisiens qui organisent un sympathique dîner-retrouvailles sur les Champs Elysées. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Semble-t-il.

A l’arrivée aux Champs, je glisse ma sacoche verte dans la malle blindée de notre voiture rouge et retrouve mes fidèles amis autour d’une belle table. Vers une heure du matin je demande, un peu à contre cœur, à partir pour rejoindre mon petit hôtel, proche de Roissy.

Soudain tout chavire ! Le temps s’arrête ! Le vacarme des voitures est silencieux et le bruit du silence diabolique ! C’est La catastrophe. La totale. Que puis-je ? Prier Bouddha ou penser très fort à lui. Rien. Rien ne semble être l’ébauche d’une solution. Mes amis m’entourent avec un visage livide et défait face à notre voiture rouge. Personne ne comprend rien et personne ne saura consoler le voyageur qui part vers Saint Barth !

Dans le monde du voyage le calme dans la tempête est souvent la seule porte de sortie. Combien de fois je fus pris dans une rafle militaire lors d’un Coup d’Etat, en Bolivie ou ailleurs ?

Je repense à mes égouts de Bamako, au Mali, où j’ai failli terminer mes jours, au lion du Kruger Park d’Afrique du Sud qui ne daigna même pas se faire un festin du voyageur ou encore aux « machettas » de Kigali, au Rwanda, qui refusèrent de faire un nouveau décapité en plus des 500 000 cadavres en 100 jours… Mais ici, nous sommes dans la dite ville lumière. A Paris. Pourquoi cette analogie ? Le hasard a des caprices que la raison ne sait comprendre et cette soirée parisienne tourne au vinaigre dans un lugubre commissariat de police. Visiter les couloirs et les caves des commissariats de Paris à 2h du matin vous éloigne d’une année lumière des Champs rutilants de notre début de soirée.

 

Au troisième commissariat, le jeune officier de police se veut plus clair et persuasif :

– « Monsieur, le coffre de la voiture rouge de votre ami est certes complètement défoncé. Son pare-brise a volé en éclats et sa boite à gants dévalisée, mais pour vous c’est un peu plus délicat. Je vois sur cette liste que vous avez plus de dix mille francs de perte entre vos objets personnels, vos documents et votre second porte-monnaie que vous appelez « une poire pour la soif ». Nous gardons votre adresse et on vous écrira un jour à Tunis, si nous trouvons une trace de votre sacoche … et…ne ratez pas votre avion pour Saint Barthélemy, il se fait très tard !

Le lendemain, armé uniquement du journal « Le Monde » sous les bras et d’une brosse à dents dans la poche, offerte par Air France, je découvre en SDF les rivages de Saint Barth. Sacré aéroport qui vous reçoit entre deux bras de mer, un petit cimetière et un micro tarmac. La décharge d’adrénaline est garantie et la découverte est sublime. Un îlot perdu au cœur de la mer des caraïbes, détaché de sa mère Guadeloupe et bercé par un atavisme suédois au nez d’un Oncle Sam qui a décidé d’en faire une escale pour les élus de Dieux et de la Bourse…

Il est là, le président Aloïs Pappert, tout nouveau à la tête du CIGV-Saint Barth, à qui j’aurai l’honneur de remettre demain soir, au prestigieux hôtel   Karl Gustav, la charte que je n’ai plus…

Aloïs, armé de son pragmatisme allemand et de son ancienne entreprise cosmétique « Wella » comprend la situation, prend l’SDF en main et l’emmène derechef chez lui pour sabrer une bonne bouteille de champagne en signe de bienvenue… Isabelle son épouse me dépanne avec un pantalon blanc d’Aloïs pour aborder la plage du soir.

Suivent trois jours de grâce, de joie et d’amitié au sein d’un club hospitalier et passionné.

C’est la veille de mon départ vers les Vierges américaines, les USVI, je fais mes adieux aux Pappert sans avoir même le temps de bien laver et repasser le pantalon blanc que m’avait prêté Isabelle…

 

Vers les vierges américaines

Dans mon petit avion, un vieux Piper PA 22-150 Caribbean des années cinquante, le commandant me propose de servir de copilote et surtout de tirer très fort sur une corde noire qui empêchera la porte droite de s’ouvrir. Le voyage continue, mes idées sont obnubilées par un petit écrou qui quitte sa vis nourricière à pas de mouche. L’aile gauche tiendra-t-elle jusqu’à l’arrivée ?

Je m’évade vers cette autre soirée où je fus intronisé par un Maître Canadien « Chevalier de la Méduse », à Saint Barth, et surtout à tous ces amis que je viens de quitter la larme à l’œil et spécialement aux 3 J, les trois Julien. Ainsi s’achève le passage d’un heureux SDF sur un îlot de rêve confié aujourd’hui au cher Bernard Dolphin.  

Les îles Vierges américaines nous attendent pour une autre belle page de vie…